Ces sensations étranges…

N° 245 - Février 2020
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A l'hôpital de jour, le « groupe autonomie » propose aux jeunes patients d'aborder la puberté et la sexualité. Vaste programme !

Comment parler d’amour et de sexualité à des adolescents souffrant de troubles du spectre autistique et de psychoses infantiles? Chaque année, cette question se pose au «groupe autonomie», que je coanime avec Irène, une collègue éducatrice. Parmi d’autres sujets, cet atelier est l’occasion d’aborder ce qui interroge quotidiennement ces jeunes et dont ils ne parlent presque jamais en famille ou avec un adulte de confiance : la transformation de leur corps. Notre objectif est d’évoquer avec eux les règles, la masturbation, l’éjaculation, les rapports sexuels, la procréation, la contraception et les maladies sexuellement transmissibles. Vaste programme!

« Il est amoureux… »

Aujourd’hui, ce «groupe autonomie» est composé de deux filles et cinq garçons. Trois ont accès à l’écriture et à la lecture, deux se situent davantage sur un versant déficitaire. Les deux autres, porteurs de troubles autistiques, ont des difficultés à entrer en relation avec les autres.
Avec ma collègue, nous avons beaucoup discuté en amont de la façon d’aborder ces sujets, qui mettent mal à l’aise les patients mais parfois aussi les soignants. Plutôt que de chercher à leur apporter des connaissances, nous avons sélectionné avec soin des dessins pour engager la discussion avec eux et mobiliser leur réflexion.
La première illustration représente un jeune garçon rougissant, assis sur le rebord d’une piscine, en short de bain, une main cherchant à dissimuler la bosse sous son maillot. Il regarde une belle jeune femme en bikini qui vient de passer devant lui et a des cœurs autour des yeux. Nous questionnons : « Qu’est-ce qui se passe dans cette scène?
– ll est amoureux, dit Bernadette. Je le sais parce qu’il y a des cœurs et qu’il est tout rouge.
– C’est juste pour ça qu’il est tout rouge, tu crois?
– Il est tout rouge parce qu’il se gratte le caleçon, renchérit Stephen qui, lors de moments de grande angoisse, se gratte sans cesse, s’arrachant des morceaux de peau.
– Que se passe-t-il au niveau du corps quand on est amoureux?, renchérit Irène.
– On a le cœur qui bat très fort!
– On a chaud !
– On est timide !
– Tout cela est vrai, mais il y a aussi, chez le jeune homme, une excitation physique qui se manifeste par une érection, vous savez ce que veut dire ce mot? »
Milo, patient souffrant de psychose, semble dormir mais soudain il lève la main : « Je sais, c’est comme l’éjaculation, il y a du sperme qui sort du pénis. »
Nous revenons alors sur tous ces termes, évoquons la masturbation chez les hommes et les femmes, qui peut se faire dans un endroit intime, caché d’autrui. Nous ajoutons que chez les femmes, l’excitation physique ne se voit pas comme chez les garçons, mais durcit le clitoris. Nous pensons qu’il est important que tous les adolescents entendent ce terme et comprennent que l’excitation n’est pas l’apanage des garçons.
« On ne dit pas la zézette ou le zizi, ajoute Bernadette, ça, c’est pour les enfants, mais qu’est-ce qu’on dit alors?
– On dit le pénis pour les garçons », répond fièrement Stephen.
Filles comme garçons connaissent mal les mots du corps féminin. Nous décrivons la vulve et le vagin, mais pour des jeunes qui se représentent difficilement l’intérieur du corps, cela paraît beaucoup plus abstrait que les organes masculins.
Nous revenons à l’illustration en expliquant que le jeune homme est peut-être aussi rouge de honte que l’on remarque son érection. J’essaie de les rassurer mais soudain, les adolescents semblent comme assoupis et ailleurs. Nous remarquons souvent ce type de réaction face à des sujets qui les gênent.

Apprivoiser son corps

Parler de sexualité à l’Hôpital de jour est une tâche ardue. Souvent, les parents dénient la transformation du corps de leurs ados et continuent de les habiller comme des petits enfants, alors que leurs corps débordent dans leurs vêtements. Comment les aider à considérer ces jeunes comme des adultes en devenir, même si leurs capacités sont réduites? Comment permettre à ces patients d’accéder à une vie pleine avec des amitiés et des attirances amoureuses, partagées ou non, tout en restant dans le respect de l’autre? Dans la grande aventure de l’adolescence, le «groupe autonomie» cherche à les aider à apprivoiser leur corps, mieux se connaître pour aller vers les autres…

Virginie de Meulder, Infirmière, Hôpital de jour pour adolescents, Association de santé mentale de Paris 13e .