« Je fais semblant d’aller bien »

N° 272 - Novembre 2022
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Nina, 17 ans, souffre d’un épisode dépressif caractérisé. Des scénarios suicidaires évoqués lors d’un entretien infirmier résonnent comme un appel à l’aide…

Depuis le printemps dernier, Nina, 16 ans, est suivie pour un épisode dépressif caractérisé. Le psychiatre a instauré un traitement antidépresseur et des entretiens infirmiers de soutien.

Nina vit avec ses parents et son frère. Sa mère est suivie pour un trouble dépressif. L’adolescente décrit une famille aimante, mais « peu soutenante », et des parents qui lui laissent « beaucoup de liberté ». Ainsi, depuis le collège, elle peut sortir avec des copines et rentrer très tard, même si elle a cours le lendemain, boire de l’alcool ou fumer sans que cela inquiète ses proches…

Depuis la rentrée de septembre, Nina va mieux. Plus investie au lycée, elle se couche généralement vers minuit et, quand elle prend l’Atarax® « si besoin », elle se réveille vers 7 heures. Elle confie avec une certaine tristesse qu’elle souffre du manque de communication avec ses proches. En fin de journée, quand elle rentre, Nina aperçoit son père devant la télévision, sa mère devant une série en ligne et son frère au téléphone. Sans baisser le son, ses parents hochent la tête pour la saluer et l’adolescente se réfugie dans sa chambre sans avoir pu échanger un mot autour de sa journée.

Scénarios suicidaires

Un vendredi matin, Nina me demande un rendez-vous dans la journée. Elle a quitté le lycée en plein cours d’anglais car elle ne se sentait pas bien. Je lui propose de venir à midi et demi.

Elle arrive à l’heure, apprêtée, et s’installe, tout en parlant très vite. Son regard est fuyant. Ses sourires, que j’interprète comme de la gêne, tranchent avec son discours, plus sombre. « Je fais semblant d’aller bien, souffle-t-elle. Mais je veux arrêter de mentir et parler du mal-être qui me ronge depuis un certain temps ». Je l’écoute avec attention mais suis surprise : deux jours auparavant, le médecin m’avait indiqué qu’il la trouvait mieux.

« Je n’en ai jamais parlé à personne mais j’ai des idées suicidaires depuis très longtemps. Par exemple, j’avais pensé mettre fin à mes jours quand mon grand-père serait parti car je ne pouvais pas lui faire une telle peine. Il est mort l’année dernière et là, je me suis dit que les vacances d’été 2022 seraient les dernières pour moi. Ça me rendait triste parce que j’aurais voulu les apprécier, en profiter pleinement mais ça n’a pas marché, et où que j’aille, que ce soit avec mes copines, chez ma tante, ou avec mes parents et mon frère, je ne me suis jamais sentie heureuse ni à ma place. Alors vendredi dernier, j’ai rassemblé tous les médicaments que j’avais mis de côté, j’ai écrit une lettre d’adieu, j’ai rangé mes affaires, j’ai pris ma douche et je me suis mise au lit avec la ferme intention de mourir. Et puis j’ai pensé que si ma mère était passée à l’acte comme ça, sans m’en parler, j’aurais eu la haine toute ma vie alors je ne l’ai pas fait. Voilà.

– Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

– Rien. Le lundi, je suis allée en cours comme d’habitude et je n’ai rien dit à personne. Ce matin, quand j’ai quitté l’établissement, je suis d’abord rentrée chez moi. Mon père était en télétravail, il avait l’air embêté de me voir. Il m’a demandé pourquoi je n’étais pas en cours, je lui ai répondu que je ne me sentais pas bien et il m’a dit d’aller me reposer dans ma chambre. C’est tout.

– Vous avez toujours des idées noires maintenant ?

– Je ne sais pas. J’en ai toujours eu.

– Vous voulez toujours passer à l’acte ?

– Je ne sais pas.

– Je suis inquiète pour vous Nina, et j’aimerais bien qu’un médecin vous voie aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ? »

L’adolescente est d’accord pour voir un psychiatre à l’unité d’accueil de l’hôpital. Ouvert 24 h/24, ce service reçoit les patients du secteur, connus ou non, pour des évaluations et si besoin une hospitalisation. J’appelle l’infirmière pour avertir de notre arrivée et Nina prévient sa mère.

Appel à l’aide

Durant le trajet, Nina se montre gaie et volubile. Sa mère la rappelle sur son portable et veut me parler. Elle semble angoissée, me demande comment sa fille voulait se suicider et note le téléphone de l’hôpital. Pendant ce temps, Nina sourit et semble ravie de l’attention soudaine de tous.

En la conduisant à l’hôpital, un de mes objectifs est que sa famille prenne davantange conscience de son mal-être et se mobilise autour d’elle. Il me semble qu’il y a une relation à (re)construire, pour que Nina trouve sa place, se sente aimée et protégée. Nina a lancé un appel à l’aide, à nous de le saisir pour l’aider à aller mieux.